vendredi 27 avril 2012

Entre raison et sentiment

Voilà maintenant deux jours qu'un fait divers mettant en cause un policier est au devant de l'actualité. Ce n'est jamais très bon signe pour l'institution, mais c'est ainsi. Et, pour le coup, le fait qu'il surgisse en pleine campagne du second tour de l’élection présidentielle n'arrange rien.

Pour rappel, samedi dernier, la police est informée de la présence d'un individu recherché dans un quartier de Noisy le Sec. Quatre policiers arrivent sur place. Trois d'entre eux descendent à pied, et le conducteur reste à bord de son véhicule. C'est pourtant lui qui va se retrouver nez à nez avec l'individu recherché.
Une poursuite entre les deux hommes s'engage. Ce qui se passe exactement ne nous est pas connu, puisque nous n'étions pas sur place. Ni vous, lecteurs, ni moi-même, policier.
Pour autant, de ce que l'on sait, via la presse: l'individu était en possession d'une grenade et d'une arme de poing. Le grenade, on ne sait s'il l'a jetée en direction du policier, ou s'il s'en est débarrassée. Toujours est-il qu'il aurait menacé le policier avec son arme.
Par ailleurs, d'autres choses sont certaines: l'individu recherché a été condamné pour braquage (s?) et n'a pas réintégré la maison d'arrêt de Chateaudun... depuis 2010.
Une chose est claire: l'homme initialement recherché est mort par balle. Le policier en a tiré quatre. L'autopsie aurait révélée un orifice d'entrée dans le dos. Fonction des sources, il s'agit d'un orifice horizontal, ou un ricochet, selon l'avocat du policier.

Comme cela arrive, et c'est bien normal, immédiatement après les faits, l'enquête a été confiée à l'IGS, sous la conduite du Parquet de Bobigny. Et le policier qui a fait usage de son arme, a été placé en garde à vue.
Le Parquet a ensuite demandé à ce que soit déféré le policier; par le biais d'un réquisitoire introductif, il a ouvert une information et demandé la mise en examen du policier pour "violences volontaires ayant entraînées la mort sans intention de la donner". Le Juge d'Instruction désigné est allé plus loin et mis en examen le policier des chefs d'Homicide Volontaire, avant de le placer sous contrôle judiciaire.

Une fois la décision rendue publique, de nombreux policiers se sont réunis à Saint-Denis, puis ont décidé de faire mouvement vers le Ministère de l’intérieur. Ce sont donc environ cinquante véhicules de police (sérigraphiés et banalisés) qui se sont retrouvé sur les Champs Elysées, bloqués dans leur progression par les Gendarmes Mobiles.
Il semblerait, selon le journal "Libération" que cette manifestation spontanée se soit déroulée à l'appel de certains syndicats, et que, selon "Europe 1", le policier en question serait délégué du syndicat majoritaire chez les policiers, Unité SGP Police.

Et nous voilà dans une énième confrontation policiers/magistrats. Le tout, alimenté par certains politiques.
Les premiers dénonçant la qualification retenue par le magistrat instructeur, et les second la remise en question, par les premiers, d'une décision de justice.
Alors oui, c'est vrai, c'est la deuxième fois que les policiers manifestent, remettant en cause une décision de justice (2010).

Et je me retrouve, là, en étant très partagé. Vraiment.

Pour le cours de droit, je vous renvoie au billet d'Eolas, plus prompte que moi à la réaction.
Et, pour mémoire, je vous renvoie aussi à un billet que j'avais publié voilà quelques temps, ici, sur le thème de la légitime défense des policiers.

Je le disais, je suis partagé. Oui, je comprend, et je bois les paroles de @DeCleec, je cite (avec son autorisation):
Sur la critique : non seulement on a le droit d'être en désaccord avec une décision de justice, mais on a même le droit de le dire, de le chanter sur tous les tons, d'en faire des alexandrins ou des billets de blog. ;) Ce qui est inacceptable est de le faire en abusant de sa qualité de fonctionnaire pour faire pression en masse sur un juge (tout simplement parce que ça porte atteinte à l'indépendance de la justice) En quoi l'exaspération joue la pertinence d'une qualification pénale ? Comme tous les professionnels qui rencontrent des difficultés, c'est le job des syndicats de faire remonter les problèmes à leurs responsables. Sur les conditions de travail, (...)  je conviens tout à fait que c'est chaud. Mais ça n'a aucun rapport avec le choix d'une qualification.  Et on ne peut pas violer la loi en raison de ses sentiments (ce que tout en monde se tue à expliquer aux délinquants à longueur de temps). Il (...faire pression sur un juge) n'est pas acceptable et encore moins de la part de policiers qui sont chargés de faire respecter la loi (et sont des gens qui savent se maîtriser mieux que n'importe quel quidam). J'observe d'ailleurs que beaucoup de policiers sont bien conscients que la justice doit être indépendante et désapprouve ces méthodes, donc pas de généralisation de toute façon. Et, encore une fois, je ne dis pas que la décision est bonne (je n'en sais rien je le répète) mais que les pressions illicites ne sont pas de mises dans un État de droit.... Et la présomption d'innocence figure parmi ces principes protecteurs,de même que l'indépendance des juges. Et je trouve grave de porter atteinte à l'un comme à l'autre de ces principes.

Voilà qui est dit; et ces propos sont extraits de l'échange que nous avons eu tous deux ces dernières heures.
Voilà donc ce qui résume assez bien le sentiment des juristes que je croise, notamment sur Twitter.

Avant tout, il faut bien distinguer deux problématiques différentes:

  • les faits en eux-même, qui ont conduit au décès d'un homme, entraînant la mise en examen d'un policier.
  • la résultante, les manifestations de policiers. 

Tout d'abord, une précision: j'ai pu lire une réaction au fait-divers en lui-même, qui m'a choquée: le fait qu'un policier soit à l'origine du décès de cet homme serait la résultante de la politique de Nicolas Sarkozy; sous-entendu que les policiers se sentiraient impunis parce que se trouvant sous l'autorité de Nicolas Sarkozy, Président de la République, ou Ministre de l’Intérieur. Et c'est donc cette impunité qui conduirait les policiers à faire feu plus facilement. Que penser de ce genre de réaction? Que c'est de la politique poubelle. Justement ce que la majorité des électeurs ne veulent plus. Je précise que, en courant derrière un malfaiteur recherché, le policier ne se demande pas s'il sera plus ou moins puni, fonction de la personne au pouvoir! Stupide. On ne peut pas non plus relier cet incident à la politique du chiffre, ni même la RGPP et donc au manque d'effectifs. Il pourrait y avoir dix mille policiers de plus; le jour où l'on se retrouve face à un homme armé, fonction de la situation, il y a une décision à prendre. Bref, il faut que cela soit clair, le fais divers n'a rien à voir avec de la politique. Laissons-le, aussi gravissime soit-il, à l'état de fait divers. Et n'en tirons pas des conclusions politiques. Après, que chacun des candidats à la présidentielle s'exprime sur le sujet parait inévitable et ne pose aucun problème.


Acte I: 
Le fait divers: la mort d'un homme, recherché, sous les coups de feu d'un policier

Il serait bon que certains "observateurs" prennent un peu de recul. Nul ne sait comment il réagirait, placé dans la même situation. Il y a très peu de personnes qui savent vraiment ce qui s'est passé. Le policier, et, peut-être des témoins. Donc, prudence dans les jugements hâtifs des observateurs.
A cela, j'ajoute que la Seine Saint-Denis est un département particulier; le travail y est encore plus difficile qu'ailleurs. Où pas une intervention n'est banale. Pas une qui n'est pas susceptible de finir en pugilat. Et parfois même sans qu'il n'y ait besoin d'une intervention!
Il faut ensuite comprendre une autre chose: il n'existe aucun autre métier, en dehors des policiers/gendarmes/douaniers, où, pour faire son métier, et défendre la société, un homme risque d'aller en prison. Oui, des policiers, mauvais, il y en a. Mais on ne peut pas mettre dans le même sac celui qui a volé, ou frappé indûment et le policier qui agit ou réagit "en intervention", devant prendre une décision, qui tient plus du réflexe qu'une pure réflexion juridique. Alors oui, bien sur, ce réflexe est conditionné par la formation et l’expérience. Mais surtout l'instinct de survie. Et lorsque l'on se retrouve en pareille situation, c'est bien un effet tunnel, qui absorbe le mental.
Donc, attention aux conclusions hâtives. Je rappelle juste que la personne en face n'était pas non plus un voleur de bonbons, mais bien un délinquant "professionnel"; et c'est un paramètre à prendre en compte également. D'ailleurs, à ce titre,  Le parisien nous en dit un peu plus sur l'homme en question et son passé. Et je vous invite à lire les commentaires à l'article, qui, je l'avoue, m'ont sidéré.
Mais, attention: rien n'autorise de tuer quelqu'un froidement sous le seul prétexte qu'il s'agit d'un délinquant. C'est quelque chose qui est très clair. Il ne s'agit donc pas de trouver une excuse.
Il faut juste avoir tous les paramètres en sa possession pour se rapprocher au plus juste de la situation.

Acte II:
Les manifestations de policiers

Avant toute chose, il ne faut pas voir dans l'attitude des policiers qui ont manifesté une envie d'impunité, ce n'est absolument pas le cas. Ils ne demandent qu'à être "compris", et c'est bien ce sentiment qui les a fait manifester. Ces policiers ont, avant tout, voulu faire preuve de soutien vis à vis d'un collègue. Parce qu'ils savent que demain, dans deux jours, un mois, ils peuvent être exactement dans la même situation que lui, que ça peut leur arriver également. Et que, sur une intervention, ils peuvent perdre, sans même parler de leur travail, ou de prison, tout moyen de subsistance pour leur famille. Et cela n'est pas acceptable.
Ces policiers ont donc fait part de leur incompréhension; non pas du fait que le policier soit mis en examen, cela paraissait inévitable. Mais plus au regard de l'infraction retenue, l'homicide volontaire, qui parait effroyablement dure. En effet, par cette qualification, on imagine que le policier a volontairement tué l'homme qui lui faisait face, et que ce n'était pas juste pour se défendre. Qu'il a donc VOULU, délibérément, le tuer.
Les policiers auraient plus admis qu'on se demande si le policier avait pu tirer des coups de feu ayant conduit au décès de la personne, sans qu'il l'ai souhaité. Ce qui correspondait aux réquisitions initiales du Parquet. Renseignements pris auprès d'un parquetier (merci @Proc_Gascogne), il semblerait que la Cour de Cassation demande au Juge d'Instruction de "donner aux faits la plus haute qualification possible". Il semblerait qu'il soit plus aisé juridiquement, à un Juge d'Instruction d'abaisser, au cours de ses recherches, la mise en examen que l'inverse.
La deuxième chose qui a conduit les policiers à manifester, relève du ras le bol. L'impression de n'être écouté et surtout entendu, par personne, voir, parfois d'être des cibles plus qu'autre chose. Et ça, oui, cela relève plus de la politique. Ajoutez à cela des problèmes récurrents sur ce département de Seine Saint-Denis, où semble règner, pour le moins, une forme d'incompréhension. Certains, comme Bruno Beschizza, ancien syndicaliste policier, désormais élu UMP, parlant de "la culture de l’excuse envers les voyous".
Les policiers ont tout particulièrement l'impression d'y être jugés plus sévèrement que les délinquants; au-delà même de l'aggravation pénale liée à leur fonction. Est-ce une réalité?
Le problème n'est-il pas bien plus profond s'agissant d'un département bien plus criminogène qu'un autre? Pour résumer, prenez un vol à main armée jugé à Bobigny, et, exactement le même au fin fond du Larzac. Dans le second cas, la peine prononcée sera bien plus importante que dans le premier. Et cela découle du fait que, nombre d'infractions deviennent presque banales, et perdent ainsi de leur importance, noyées dans la masse.

Mais je m'égare...

Tout ça pour dire que, au delà même de la manifestation, toute aussi illégale qu'elle soit (je rappelle qu'il n'y a eu aucun incident, et aucun préjudice, pour personne), il y a quelque chose à comprendre... Il peut y avoir des principes importants de droit, de tout ce que l'on veut... Il y a, derrière, la réalité et des hommes qui, finalement, ont peur. Peur pour leur famille, parfois leur vie, alors qu'ils travaillent au service des autres, avec des bouts de ficelle...

Enfin, selon moi, cette manifestation aura eu au moins un mérite, et non le moindre: notre collègue se voit maintenir son salaire, durant l'instruction. Ce qui n'était pas forcément évident avant.
Mais, @titetinotino (j'en profite pour glisser l'adresse de son blog, ici) a raison: il ne faudrait pas que ces manifestations deviennent habitude.
Manifester son exaspération "à chaud" de manière exceptionnelle est une chose que je peux concevoir (même avec des réserves). En faire quelque chose d'habituel lui fait perdre tout son sens et la crédibilité liée au message que l'on veut faire passer.
Mais parfois, raison et sentiments se mélangent...

Pour conclure, je retranscris ici une nuance qui m’apparaît importante, et qui m'a été soufflée par un twittos:

"La réaction de manifester des policiers était illégale. Etait-elle, pour autant, illégitime?"







1 commentaire:

  1. Ma foi, je comprends de mieux en mieux l'importance de faire figurer les questions dans les PV d'audition de GAV. ;)
    Plus sérieusement, on pourrait préciser que c'est justement parce que nous avons la chance de vivre dans un État de droit (qui, par conséquent, s'embarrasse du respect du respect de quelques principes fondamentaux) qu'il existe des voies légales pour contester des décisions de justice que l'on désapprouve. Et que c'est l'existence de ce type de recours qui justifie qu'on ne peut pas raisonnablement admettre des pressions (de quelqu'ordre qu'elles soient) sur l'indépendance d'un magistrat en arguant de son émotion (aussi sincère soit-elle).
    Quant à la sévérité des condamnations visant des policiers par les juridictions de Bobigny, on pourra en reparler, mais ça me paraît HS ici.

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